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Virginie Gasquet
 
 
« Je ne t’ai donné ni visage, ni place qui te soit propre, ni aucun don qui te soit particulier, ô Adam, afin que ton visage, ta place, et tes dons tu les veuilles, les conquières et les possèdes par toi-même. Nature enferme d’autres espèces en des lois par moi établies. Mais toi, que ne limite aucune borne, par ton propre arbitre, entre les mains duquel je t’ai placé, tu te définis toi-même. Je t’ai placé au milieu du monde, afin que tu pusses mieux contempler ce que contient le monde. Je ne t’ai fait ni céleste ni terrestre, mortel ou immortel, afin que de toi-même, librement, à la façon d’un bon peintre où d’un sculpteur habile, tu achèves ta propre forme… »

Pic de la Mirandole,
Oratio de hominis dignitate
 



 
L'ombre était molle.
Le sol même semblait fondre sous mes pieds
Mes yeux n’attendaient plus rien de la lumière à force d’inhiber les couleurs
Rien ne distinguait plus l’ombre de la lumière
J’étais dans le néant et le néant était en moi
Je riais et l’écho de ma voix c’est lui qui me le renvoyait
Je pleurais et déjà je le sentais m’envahir et dans ma ouche s’instillait mes humeurs salées

Je sens maintenant l’étreinte du lierre autour des poignés qui l’ont planté
Maintenant je suis le lierre et la terre qui l’accueille l’eau qui le nourrit et la vapeur qui le rafraîchit

Bientôt je ne serai plus rien juste un vague souvenir quelque chose que l’on croit reconnaître mais qui n’existe déjà plus.

Les nuages assassins font trembler la feuillée et le vent en douceur fait chavirer leur cœur tout encore violacé. Les violons se sont tus et dans l’air on entend des requiem glacés qui tourmentent les sens.
 



 
une réécriture



L’ombre était molle
le sol muet se cabrait
                          s’apaisait dans un souffle
l’œil de lumière écoeuré
                                   vomissait des larmes de couleur
l’écho survivait à la voix
           sur la langue fondaient des grains d’humeurs salées

L’étreinte du lierre enserre mes poignés
je deviens le lierre la terre qui l’enchaîne
            respiration vaine
Sur le derme de l’eau frissonne
            l’écume-souvenir
Une empreinte furtive dans le reflux
            Fondu

Les nuages assassins font saigner la feuillée et dans le champ du vent des requiems glacés vous tourmentent les sens.
 



 





Chancelant sur terre,

il fuit

près de la trace humide

d’un contenant déshydraté

vider ces idées d’une traite

faire s’évanouir les plus sombres d’entres-elles

dans le tourbillon de son antre

Epuiser les verres

user son palais aux attaques de son indigeste amie.





 


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